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Chaud et humide
15 décembre 2013

QUESTION DE VALEURS

« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » (citation attribuée à André Malraux)

Je n'ai pas encore parlé de LA CHARTE. Je l'écris en majuscules parce que cela correspond à l'importance que le sujet a prise ici. Il s'agit, bien sûr, de ce qu'on a qualifié, selon le moment, de charte des valeurs québécoises ou de charte de la laïcité – le rapport entre les deux appellations  n'étant d'ailleurs pas évident. Mais en écrivant « LA CHARTE », je suis certaine d'être comprise.

Que d'encre elle a fait couler, que d'ondes elle a occupées, que de mots et de maux lui a-t-on associés... Elle n'était pas encore rédigée que déjà on lui attribuait les pires intentions, ou les meilleures : résurgence du nazisme pour les uns, calque de l'apartheid pour d'autres, panacée à l'harmonie sociale pour plusieurs. Tous les groupes de pression sont montés au front pour nous convaincre de la condamner ou d'y adhérer, selon leurs affiliations politiques, religieuses, ou politico-religieuses car, dans certains cas, les deux se confondent allègrement et honteusement.

Gardons d'abord à l'esprit que « LA CHARTE » n'est pas un projet religieux, mais un projet politique. Elle vise à assurer la laïcité de l'état québécois et la démonstration de ce fait dans les services offerts à la population : l'administration publique, la santé, l'éducation et la sécurité publique. Quand on entend des gens dire que « LA CHARTE » vise à restreindre les droits de pratique de certaines religions, on nage donc en plein délire paranoïaque. « LA CHARTE » n'interpelle même pas cette question. Rien, dans ce projet, n'interdit quoi que ce soit dans la vie privée ou dans l'espace public. Le port du kirpan, du crucifix, du tchador ou de la kippa reste tout à fait permis. En privé comme en public. Seule restriction amenée par « LA CHARTE » : sauf pour les employés de l'état dans l'exercice de leurs fonctions. Soulignons qu'aucune religion n'oblige, dans le cadre de sa pratique, le port de tels signes dans le contexte de l'exercice d'une profession. En quoi « LA CHARTE » brime-t-elle donc la liberté de religion? L'affirmer est aussi faux qu'exagéré.

On a dit des choses étonnantes dans le cadre du débat autour de « LA CHARTE ». On a, entre autre, affirmé que les signes et symboles religieux portés par des fonctionnaires n'avaient aucune influence. Voilà une affirmation qui vient annihiler en une courte phrase toutes les découvertes de la sémiologie depuis cent cinquante ans. Un signe signifie toujours quelque chose et communique toujours un message. Il a donc une influence. Plus ou moins importante selon le contexte, mais néanmoins toujours réelle. Prétendre le contraire est simplement faux. Ce n'est pas parce que le porteur du signe n'est pas conscient du message qu'il porte, ou encore qu'il ne lui accorde pas d'importance, que celui-ci n'existe pas, et encore moins qu'il soit anodin. Si on arrivait à être un peu moins individualiste, et si on arrivait à se placer dans un contexte davantage collectiviste, à l'instar de la société dans laquelle nous évoluons, on se rendrait rapidement compte que, si des signes semblent ne pas avoir d'effet sur nous, il peut en être bien autrement des gens autour de nous.

Imaginons le cas de la jeune fille de quinze ans qui, craignant une grossesse aussi involontaire que non désirée, va consulter toute craintive l'infirmière de sa polyvalente, une fonctionnaire de l'état qui l'accueille, crucifix au cou, avec des affiches de groupes pro-vie plein les murs de son bureau... La jeune fille se sent-elle à l'aise de s'ouvrir à elle? De lui parler de son envie d'avortement? Si ces signes n'ont pas d'importance pour l'infirmière, alors pourquoi tient-elle tant à les afficher? Et quel sera leur impact sur sa clientèle?

J'écoutais un groupe de gens de religion juive revendiquer le droit de porter la kippa au travail, en disant que cela n'avait aucune influence sur la qualité de leur prestation professionnelle. Comment réagiraient-ils si un préposé aux bénéficiaires de religion hindoue embauché par l'hôpital juif de Montréal décidait de porter au travail une croix gammée, signe religieux de son initiation à la doctrine védique? J'entends ici les cris d'horreur!

Autre chose troublante du débat sur « LA CHARTE », c'est sa polarisation en fonction du débat nationaliste-fédéraliste au Québec. Il est assez étonnant de voir que les défenseurs de « LA CHARTE », un projet du gouvernement péquiste de Mme Marois, appartiennent surtout à la mouvance indépendantiste, et que ses pourfendeurs se retrouvent presque essentiellement dans les factions fédéralistes du Québec, pour ne pas dire qu'ils habitent surtout l'ouest de Montréal. C'est curieux, et sans doute assez malsain. Quand on porte attention au débat, on se rend compte que ses opposants sont constamment alimentés par des appuis du R.O.C. (Rest of Canada). Des journaux reconnus pour leur position pro-fédération n'hésitent même pas à triturer la réalité avec des titres comme « 100 universitaires contre la charte des valeurs » (La Presse, 9 décembre 2013), en référence à une lettre signée par 112 professeurs et chercheurs de l'Université de Montréal, oubliant de mentionner que près de 6 000 autres ne l'ont pas signée! 112 sur près de 6 000, cela fait moins de 2 %, ce n'est pas une très forte mobilisation, contrairement à ce qu'aimerait sans doute laisser croire ce journal.

Je crois que « LA CHARTE » offre d'importantes qualités. A-t-elle des défauts? Peut-être, mais c'est en encourageant un débat sain sur ces questions qu'on arrivera à un libellé qui pourra faire consensus, sans être influencé par tous les prosélytes de ce monde. Mais c'est peut-être rêver en couleurs dans un Canada ou le simple fait de ne pas croire en un dieu, de ne pas avoir de religion, constitue un geste criminel. Heureusement, même si cette loi stupide existe encore, les tribunaux ont eu le bon sens de ne pas l'appliquer depuis 1926.

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